Détenteur de plusieurs Prix nationaux et internationaux dont celui du meilleur entrepreneur du Prix d’excellence Alassane Ouattara en 2020 et du Prix d’Excellence de la Diaspora Ivoirienne en 2023, Bleu Bernus, ingénieur zootechnicien, exerce dans le domaine de l’élevage en Côte d’Ivoire, précisément dans l’héliciculture (élevage d’escargots). C’est en sa qualité de président national de la filière escargot en Côte d’Ivoire et représentant légal de l’entreprise Côte d’Ivoire escargots qu’il a accordé une interview à BETAIL D’AFRIQUE.
Bleu Bernus, comment vous est-il venu l’idée de vous lancer dans l’activité de l’élevage d’escargots ou héliciculture ?
Bleu Bernus : J’ai eu un parcours professionnel qui m’a emené à choisir l’héliciculture comme activité principale. J’ai travaillé dans plusieurs entreprises dont la société internationale de charcuterie qui exercice dans l’élevage de porcs, de bœufs, de la volaille. J’ai travaillé en tant que chef de production à la Société des Terres du Sud qui fait aussi l’élevage de poulets et de pondeuses. J’ai aussi été enseignant des zoos et techniques générales (élevage) à l’institut privé d’agriculture tropicale d’Adzopé, puis à l’Agence Nationale d’appui au développement Rural (ANADER). Après toutes ces expériences, je me suis rendu compte que l’héliciculture, à savoir l’élevage d’escargots, est l’une des rares activités dans le secteur pour laquelle on n’achète pratiquement pas d’intrants et d’aliments. Or, un bon éleveur est celui qui dépense moins. C’est donc à partir de cela que j’ai décidé de vulgariser l’héliciculture, secteur dans lequel j’exerce depuis près de sept (7) ans à ce jour. C’est par mon canal et celui de l’entreprise dont je suis le représentant légal qu’aujourd’hui, la sous-région ouest-africaine vulgarise l’élevage d’escargots. La Côte d’Ivoire est leader dans l’héliciculture. Elle abrite la plus grande ferme d’élevage d’escargots au monde. Située à Adzopé, cette ferme appartient à Côte d’Ivoire Escargots et compte un million (1000 000) de reproducteurs. La Côte d’Ivoire exporte près de 4 tonnes d’escargots décoquillés vers la France et quelques pays d’Afrique chaque année.
Depuis quand votre entreprise, Côte d’Ivoire Expertise Escargot, existe-elle et quels sont ses domaines d’activités
B.B. : L’entreprise Côte d’Ivoire Expertise Escargot existe depuis 2018, cela fait donc cinq bonnes années que notre entreprise est en marche. Nos domaines d’activités sont l’élevage, la formation, la transformation et la commercialisation de l’escargot. L’héliciculture est composée d’éleveurs, de transformateurs, de commerçants de bave d’escargots, de producteurs d’aliments, de producteurs d’escargots et de producteurs de bave d’escargots.
Comment le travail est organisé concrètement au sein de cette société?
B.B. : Le dispositif organisationnel prend en compte le Directeur que je suis. Ensuite, il y a un coordonnateur technique national, un ingénieur qui se charge du suivi technique de toutes les fermes (près de mille en Côte d’Ivoire appartenant toutes à Côte d’Ivoire Expertise Escargots). Ceci concerne l’échelle nationale. A l’échelle régionale, il y a des coordonnateurs régionaux qui encadrent. A l’échelle départementale, il y a des techniciens motorisés qui sillonnent les fermes pour assurer leurs entretiens. Le volet transformation regroupe 4 fermes pilotes qui nous permettent d’extraire la bave utilisée dans la fabrication de produits cosmétiques à partir de la bave d’escargots.
Au niveau des résultats sur le terrain, que peut-on retenir de vos actions ?
B.B. : Grâce à notre travail, nous avons de plus en plus d’éleveurs d’escargots en Côte d’Ivoire et beaucoup d’escargots à vendre sur le marché à partir des fermes que nous avons. Par contre, nous ne comptons que quinze (15) techniciens pour toute la Côte d’Ivoire et cela est peu. Ce qui nous oblige à visiter les fermes qu’une fois par mois. Alors qu’un passage mensuel n’est pas suffisant pour une production optimale. Aussi, avec le manque d’experts, les formations se font en seulement deux jours. Cela est insuffisant. C’est donc le manque de techniciens qui constitue notre problème majeur au niveau de l’encadrement.
S’agissant du volet formation, combien de personnes avez-vous déjà installées et quel retour avez-vous d’elles ?
B.B. : Nous avons formé près de dixhuit mille (18000) Ivoiriens et environ six mille (6 000) personnes à l’extérieur du pays. Sur les 18 000 formées en Côte d’Ivoire, seulement un millier est installé. La plupart n’exerce pas encore faute de moyens. Pour celles et ceux qui ont pu être placés, nous avons un taux de réussite de 70%.
Côte d’ivoire Expertise Escargot fait également de la transformation. Quels sont les produits que vous avez obtenus avec les escargots et comment se comportent-ils sur le marché ?
B.B. : Les produits que nous avons dans le milieu de la transformation sont le savon, le gel douche et les pommades, qui sont obtenus dans la transformation de la bave d’escargot. Ces produits se comportent bien sur le marché ivoirien, mais ils sont plus valorisés en dehors de la Côte d’Ivoire, notamment en France. Nos produits sont traitants, nettoyants, cicatrisants et luttent contre le vieillissement de la peau, les rides et les champignons.
Bleu, vous êtes également le président de l’Organisation Nationale Interprofessionnelle de la Filière de l’Escargot en Côte d’Ivoire (ONIPECI). Quelles sont vos missions et qu’avez-vous apporté à cette filière ?
B.B. : La filière escargot en Côte d’Ivoire continue de se renforcer et ma mission c’est, bien entendu, de vulgariser et de faire la promotion de l’escargot et de ses dérivées, d’organiser le travail des éleveurs, de faciliter l’importation et l’exportation des intrants. Nous sommes à la tête de cette filière depuis 2020. Depuis notre élection, nous avons permis à la filière escargot de sortir de son autarcie. Aujourd’hui, grâce à notre travail, cette filière est bien connue dans la sous-région ouestafricaine, en Europe, principalement en France. Nos actions, à la tête de la filière escargot, ont permis à plusieurs éleveurs du secteur d’exporter leurs produits et d’aller à l’extérieur de la Côte d’Ivoire pour promouvoir leurs activités.
Quelles sont les objectifs de l’ONIPECI à court, moyen et long terme?
B.B. : A court terme, nous avons pour objectif de faire en sorte que la filière escargot existe et se renforce. Dans le long terme, nous envisageons de faire en sorte que l’escargot soit à moindre coût sur le marché, qu’il soit accessible à tous les Ivoiriens. Nous souhaitons également qu’en période pluvieuse ou sèche, l’escargot soit permanent sur le marché et que le coût baisse pour permettre à chacun d’accéder à cette matière protéinée.
Quelle sont les difficultés rencontrées dans cette filière et qu’attendez-vous des autorités étatiques ?
B. B. : Les difficultés sont surtout d’ordre technique. En effet, à l’import tion, certains intrants comme les cages de contentions, les spatules, le matériel d’élevage, sont vraiment coûteux. Et l’exportation des escargots est aussi difficile car il est considéré comme un produit forestier par les européens. C’est un produit sauvage qui est interdit par la législation de l’espace Schengen. Donc pour l’exporter, il faut le précuire et l’envoyer dans des sachets. Nous avons des difficultés à ce niveau. Ce que nous attendons des autorités étatiques est que l’Etat facilite l’obtention du matériel d’élevage.
Bleu, en Côte d’Ivoire, il existe de nombreuses filières dans le secteur de l’élevage, en quoi l’héliciculture est-elle une activité rentable ?
B.B. : L’héliciculture est une activité rentable car l’escargot peut pondre entre 200 et 400 œufs l’année. Au niveau prolificité, les indicateurs sont positifs parce que la performance d’un élevage est mesurée par son résultat. Donc quand nous avons un bon ratio tel que ce que nous voyons chez les escargots, qui pondent entre 200 et 400 œufs par an, on ne peut qu’être satisfait. L’on investit peu pour un gros gain. Contrairement au secteur de la volaille où la pondeuse pond 180 œufs par an. La difficulté qu’on rencontre dans l’héliciculture est le temps. L’escargot met jusqu’à 14 mois pour être comestible. Un éleveur qui doit attendre plus d’une année pour commercialiser ses produits, cela devient épuisant. Nous avons donc mis en place un mécanisme pour permettre aux éleveurs d’engraisser les escargots afin de les rendre comestible en six (6) mois.
En termes de budget, combien faut-il au minimum pour se lancer dans cette activité ?
B.B. : Pour démarrer l’héliciculture, il faut un capital minimum de 300 000 FCFA pour l’achat du matériel et d’animaux. Aussi, il n’y a pas de zone favorable à l’élevage d’escargots. Car c’est l’éleveur qui crée l’humidité nécessaire pour cette activité en apportant de l’eau dans l’escargotière. Il faut notamment maintenir les escargotières propres afin d’éviter les maladies. Par contre, il est difficile de mener cette activité dans les zones froides comme l’Egypte.
Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui ambitionnent de s’adonner à cette activité ?
B.B. : Le conseil que j’ai à donner à celui ou celle qui voudrait bien faire l’élevage d’escargots, c’est de lui dire d’être une personne patiente dans ce travail. Il est bon de savoir que le temps que met l’escargot pour arriver à maturité est long. Je demanderais donc aux personnes intéressées par l’héliciculture, de venir nous voir pour avoir une formation adéquate avant d’investir. Il faut aussi mettre plus d’argent dans les infrastructures au détriment de l’achat des animaux.
Interview réalisée à Azaguié
par Mireille YAPO et Sandrine KOUADI