Salif Sawadogo (Président INTERAQUA) :
« L’élevage de poissons, une mine d’or pour la Côte d’Ivoire »

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Maurice Sawadogo Salif est le Président du Conseil d’Administration (PCA) de l’Interprofession aquacole, en abrégé INTERAQUA. Dans cette interview qu’il nous a accordée au siège de son organisation, l’aquaculteur en chef parle de sa structure et dévoile ses objectifs et ambitions.

 Maurice Sawadogo Salif, dites-nous ce que c’est que l’interprofession aquacole ou INTERAQUA, dont vous êtes le président depuis le 17 mai 2023 ?

Maurice Sawadogo Salif : L’Interprofession aquacole est une organisation régie par l’ordonnance 2011- 473 du 21 décembre 2011, relative aux Organisations interprofessionnelles agricoles (OIA). L’Interprofession aquacole regroupe trois collèges. Il y a d’abord le collège des producteurs qui représente au moins 60% des acteurs, ensuite le collège des agro-industries qui regroupe les provendes, ceux qui importent l’aliment et qui produisent les alevins. Et il y a enfin le collège des commerçants qui sont les mareyeurs et mareyeuses. Il faut produire, il faut prendre l’aliment pour produire, il faut prendre les alevins pour les faire grossir, il faut avoir un circuit de vente. Voilà comment nous nous sommes organisés pour créer l’interprofession. Nous sommes autour de 2500 acteurs dans l’interprofession aquacole en Côte d’Ivoire avec 54 coopératives.

Quels sont les missions et objectifs de l’interprofession aquacole ?

S. S. : L’interprofession aquacole a pour mission la coordination des activités par l’établissement des règles contractuelles entre ses membres, concernant notamment la fixation des prix, la définition des normes qualité, l’instauration de cotisations volontaires et obligatoires. Créer en plus un cadre de concertation et d’échanges entre les professionnels et définir une synergie d’actions pour accroître les retombées économiques.

Pouvez-vous nous présenter l’état du secteur aquacole aujourd’hui en Côte d’Ivoire ?

S. S. : Cela fait un an que notre organisation est créée et nous sommes en 2024. Donc nous n’avons qu’un an d’existence. Nous sommes à ce jour autour de 2500 tonnes de poissons importés. Lorsque vous prenez les producteurs, les mareyeurs et autres, nous sommes plus de 2500 producteurs. Nous avons des femmes, des jeunes, et des adultes. Nous avons plus de 54 coopératives réparties dans 8 grandes régions de la Côte d’Ivoire.

Monsieur le président, parlez nous de vos grandes actions sur le terrain ?

S. S. : Parlant d’actions, sachez que nous avons fait d’abord un état des lieux et cela nous a permis de comprendre comment fonctionnent les coopératives. Elles sont à un bas niveau, donc nous sommes en train de renforcer leurs capacités pour leur donner un niveau optimal. De deux, nous sommes en train de voir comment il faut géo localiser les producteurs. Aujourd’hui, si vous prenez quelqu’un installé par exemple à Daloa, Abengourou ou à Gagnoa, vous n’êtes pas obligés de passer par l’interprofession pour avoir accès à lui. Il suffit juste de vous fournir les données et vous allez directement sur le traitement. Il faut géo localiser tous les producteurs, renforcer leurs capacités et les mettre en route. L’autre action, c’est que nous nous sommes beaucoup axés sur la production d’aliment de poissons. Nous sommes en train de discuter avec l’Etat de Côte d’Ivoire pour voir comment diminuer les taxes sur l’importation de l’aliment parce que l’aliment constitue au moins 75% du coût de production. Ça fait que nous vendons le poisson cher à la population. Lorsque l’Etat va diminuer nos taxes, vous allez voir que nous allons produire plus, la population va avoir de bons poissons à moindre coût. Ce sont ces actions que nous sommes en train de mettre en œuvre et aller à l’obtention de notre dernier document en Conseil des ministres, qui est la reconnaissance.

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Quels sont les obstacles dans la mise en œuvre de vos actions ?

S. S. : La première des choses ce sont les finances. Nous sommes une nouvelle structure, les banques ne nous connaissent pas assez. Il paraît qu’il y a assez de risques, donc lorsqu’il y a des risques, les banques ne s’engagent pas. Nous sommes en train de les convaincre pour qu’elles viennent nous appuyer. Nous ne leur disons pas de nous donner de l’argent, mais de nous appuyer pour que nous soyons forts comme les importateurs de poissons. La Côte d’Ivoire importe plus de 700 000 tonnes de poissons, nous ne représentons que peut-être 10 à 15% de ce que les Ivoiriens consomment. Donc nous sommes prêts aujourd’hui à aller vers l’inverse. Il faut inverser les tendances aujourd’hui c’est-à-dire produire plus et importer moins.

Pouvez-vous nous dire les principaux défis du secteur ?

S. S. : Le Premier défi, c’est de régler la question du déficit de poisson en Côte d’Ivoire. On ne peut pas être dans une Côte d’Ivoire avec une bonne pluviométrie et des fleuves et des lagunes qui traversent ce pays et puis importer du poisson. Çà c’est le premier défi, il faut mettre à niveau la production. Le deuxième défi, c’est de redynamiser la filière. Il faut donner du sang nouveau à la filière aquacole. On ne peut pas rester là, tendre la main aux bailleurs de fonds et dire : « donnez-nous de l’argent ». Nous avons des jeunes, nous avons la main d’œuvre et tout ce qu’il faut pour pouvoir produire. Donc nous sommes en train de redynamiser la filière aquacole. Le troisième défi, c’est de rendre notre interprofession économiquement viable et représentative. Lorsqu’on voit par exemple les filières d’exportation comme l’anacarde, l’hévéa, le cacao, vous voyez comment c’est dynamique ? Nous nous sommes là, nous ne communiquons pas. Le quatrième défi, c’est faire de l’INTERAQUA un outil d’aide et de développement. Pendant mon mandat, je passerai par tous les moyens possibles pour que notre organisation soit un outil d’aide au développement. Lorsqu’on va demander ce que nous apportons à la Côte d’Ivoire, il faudrait que nous soyons en mesure de dire ce que nous apportons aux Ivoiriens, aux jeunes, même aux retraités.

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Salif Sawadogo, Président du Conseil d’Administration (PCA) de l’Interprofession aquacole en Côte d’Ivoire, parle des défis du secteur

Monsieur le président, comment peut-on intéresser les Ivoiriens à faire de la pisciculture et est-ce que ce métier nourrit son homme ?

S. S. : Si l’aquaculture ne nourrissait pas son homme, je vous jure que je n’allais pas quitter le cacao pour être ici. J’ai passé 30 ans dans le cacao. Mais le peu de temps que j’ai passé dans l’aquaculture, je sais ce que je gagne. Les gens me connaissent bien à Abengourou, dans toute la zone de production. On m’appelle « Maurice cacao », mais aujourd’hui on m’appelle « Maurice poisson ». La bourse du poisson se trouve avec nous. Nous n’allons pas à Londres, à New York pour fixer le prix. C’est le producteur qui fixe le prix. C’est pourquoi aujourd’hui j’ai des milliers de jeunes qui m’appellent tous les jours pour s’adonner à l’aquaculture. Vous n’avez pas besoin de détruire 50 hectares pour commencer. Vous avez un espace d’un hectare, vous pouvez avoir 20 tonnes de poissons par an. 20 tonnes multipliées par 2500 vous voyez ça fait 25 millions de F CFA. Les dépenses ne dépassent pas plus de 10 millions. Un jeune par an qui trouve 15 millions, je ne vois pas ce qui va le pousser à traverser ces océans pour aller mourir dans la mer en voulant aller chercher l’El Dorado en Europe. Je vais vous raconter ces anecdotes : A Cocody-Angré, ici à Abidjan, j’ai vu des vieux qui sont assis parce qu’ils sont à la retraite. Je leur ai dit : « mais vous perdez le temps. Moi je peux vous installer des cages horssol chez vous à la maison. Le fait de quitter la chambre pour venir voir vos poissons ça vous donne la vie.» J’ai dit aussi à des jeunes dames et à des étudiantes de venir me rendre visite dans ma ferme. Lorsqu’elles sont venues me voir, je les ai fait descendre directement dans l’eau. Quand j’ai fait sortir des poissons de 500 g, ces personnes étaient émerveillées. Aujourd’hui, ces personnes sont en train de produire du poisson. Elles ne parlent même plus d’emplois, elles ne pensent plus à aller passer un concours.

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Le secteur aquacole en Côte d’Ivoire bénéficie-t-il du soutien de l’Etat ?

S. S. : Bien sûr il y a une volonté politique. Le Ministre Sidi Touré est en train de donner de la valeur à l’aquaculture en Côte d’Ivoire. C’est cette volonté politique qui m’a poussé à être là aujourd’hui. Il y a une volonté politique en Côte d’Ivoire. Le ministre Sidi Touré nous a mis au centre de l’aquaculture en Côte d’Ivoire. Toutes ces structures, lorsqu’elles veulent travailler, il leur dit : « voyez les aquaculteurs, voyez l’interprofession ». Donc il y a une volonté des autorités étatiques qui nous accompagnent. Si nous sommes à cet endroit et à ce niveau aujourd’hui, c’est parce que nous avons été accompagnés. Si l’Etat ne nous avait pas accompagnés d’une certaine mesure, nous ne pouvions pas avoir le siège que nous avons.

Comment amener le secteur privé à s’intéresser au secteur aquacole ?

S. S. : Pour amener le secteur privé à s’intéresser au secteur aquacole, il faut dire à ces privés que le secteur aquacole est rentable et qu’il y a moins de risques. Il faut leur faire un business plan pour leur montrer ce que le secteur rapporte. En Côte d’Ivoire, nous produisons 10 000 tonnes multipliées par 2500, ça fait 25 milliards de F CFA qui arrivent dans les mains des acteurs sans passer par une banque. Il suffit d’aller vers les banques pour leur dire que par an nous avons 25 milliards que vous ne touchez pas. Cela peut attirer des investisseurs privés et des banques. A l’interprofession aquacole, nous sommes organisés, sérieux et nous ne faisons pas de palabres, nous faisons que des profits. L’élevage de poissons est une mine d’or pour la Côte d’Ivoire. Notre bonheur est entre nos mains. Nous pouvons façonner ce bonheur quand on veut et comme on veut.

Lors du dernier SARA (Salon International de l’Agriculture et des Ressources Animales) d’Abidjan, vous avez signé plusieurs partenariats avec des structures nationales et internationales. Quelles sont les retombées de ces partenariats ?

S. S. : Au SARA, nous avons signé un partenariat avec des pisciculteurs de France parce que le changement climatique ne leur permet pas de produire et ils cherchent des alevins adaptés au changement climatique. Nous sommes dans cette dynamique-là. Donc nous avons eu une rencontre avec eux pour peaufiner et signer le partenariat. Nous avons signé aussi des partenariats avec Wolf fish à travers la Banque africaine de développement (BAD). Ils vont nous appuyer pour qu’on puisse produire 6 millions d’alevins. On a signé le contrat, l’argent sera sur notre compte bientôt pour commencer à travailler. Nous sommes en contact avec PDC 2V, c’est un projet de chaîne de valeur d’aquaculture de plus de 138 milliards de F CFA. Nous en faisons partie et nous sommes en train d’installer des jeunes. Le minimum que les aquaculteurs ont eu, c’est plus de 20 à 50 millions par personne. C’est pour vous dire simplement que les retombées du SARA sont énormes. Je veux surtout remercier l’Etat de Côte d’Ivoire pour tout ce qu’il fait pour nous et remercier aussi la chambre d’Agriculture qui nous a favorisés, en nous donnant gracieusement un stand et on a su en profiter.

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Que faire pour que la Côte d’Ivoire soit autosuffisante en poissons ?

S. S. : Il faut mettre à niveau les fermes aquacoles et produire davantage. Nous devons être des professionnels de l’aquaculture en Côte d’Ivoire. Il faut faire toutes ces actions en amont avant d’arriver à ce dont vous parlez, à savoir: faire de la Côte d’Ivoire un pays autosuffisant en poissons. Aujourd’hui, il y a un changement climatique, les étangs ne sont plus adaptés. C’est pourquoi nous avons des aménagistes à notre niveau qui sont en train de passer dans toutes les fermes pour les mettre à niveau. Aussi, nous n’allons pas rester sur le tilapia. Nous sommes en train de voir comment il faut diversifier nos sources. Par exemple, comme au Vietnam, pourquoi ne pas chercher à multiplier la production du Pangasius en Côte d’Ivoire ? Pourquoi ne pas développer plus le mâchoiron ? Pourquoi ne pas chercher à développer d’autres variétés de poisson que les Ivoiriens mangent pour ne pas que nous restons chaque fois dans le tilapia ? Nous produisons 90% de tilapia en Côte d’Ivoire, mais estce que tout le monde mange du tilapia ? Nous devons tenir compte de tous ces facteurs.

Monsieur le président, quel est votre message à l’ensemble des acteurs du secteur aquacole de Côte d’Ivoire ?

S. S. : Je voudrais dire à tout le monde que l’aquaculture en Côte d’Ivoire se porte bien. Je promets que l’aquaculture, comme l’a dit un jour le Ministre Sidi Touré lors d’une de ses allocutions, « sera le cacao de Côte d’Ivoire d’ici 5 ans ». Quand on va dans la région d’où je suis originaire, le cacao ne nourrit son homme que durant 2 mois sur 12. Lorsque vous allez à Daloa, le planteur cherche aujourd’hui 10 mille francs CFA pour acheter de l’adjovan, une autre variété de poisson. La sécurité alimentaire s’impose à nous. Nous sommes des acteurs de l’aquaculture, nous sommes en train de produire du poisson. Au lieu de mettre plus de 500 voire 600 milliards F CFA comme subvention pour importer des poissons aux Ivoiriens, nous, à l’interprofession aquacole, cherchons seulement que le tiers de cette somme pour pouvoir développer l’aquaculture en Côte d’Ivoire, afin de permette au pays de s’autosuffir en poisson.

Réalisée par

Mireille YAPO et Sandrine KOUADJO