Elevage d'abeilles :
La présidente de Holly Honey, Antoinette Kouadio, partage son expérience

Apiculture

Madame Yocolly Adjoua Marie Antoinette, épouse Kouadio, est la Présidente du Comité de gestion de la Société Coopérative (SCOP) Holly Honey, une structure qui existe depuis 2008. Elle est une championne de l’apiculture, qui n’est rien d’autre que l’élevage des abeilles. C’est au siège de son entreprise sise à Abidjan-Cocody que Mme Kouadio a reçu une équipe de BETAIL D’AFRIQUE pour un entretien exclusif.

 

Mme Kouadio Antoinette, dites-nous ce que c’est que l’apiculture ?

Mme Kouadio Antoinette: L’apiculture consiste à élever les abeilles et en tirer profit, c’est-à-dire avoir du miel, mais également bien d’autres produits dérivés. Nous produisons du miel monofloral d’anacardier, de caféier, d’oranger et du miel polyfloral que nous appelons miel nature. Nous avons été certifiés Fairtrade en 2010. La certification Fairtrade est un système de certification de produit au sein duquel les aspects sociaux, économiques et environnementaux d’un produit sont certifiés par rapport aux standards Fairtrade applicables aux producteurs et acteurs commerciaux. Le système Fairtrade surveille l’achat et la vente du produit jusqu’à ce qu’il soit emballé et étiqueté en vue d’être consommé. Les certificats ne sont délivrés qu’après une inspection physique confirmant que toutes les normes Fairtrade applicables ont été respectées. Certifiés Fairtrade que nous sommes, nous gardons le cap dans cette activité que nous avons librement choisi d’exercer, à savoir l’élevage d’abeilles avec notre Société Coopérative (SCOP) Holly Honey.

 Comment de Professeur de lycée que vous étiez, vous vous êtes retrouvée à faire de l’élevage d’abeilles ?

Mme K. A. : C’est vrai que je me suis intéressée à ce métier d’apiculteur quand j’étais encore en fonction en tant que professeur d’allemand dans un lycée du pays. Au départ, c’était juste pour aider certains apiculteurs dans la région de Toumodi. Ils cherchaient à écouler leurs produits, malheureusement ils ne savaient pas par quels moyens passer pour le faire. J’avais donc pris sur moi d’acheter leurs produits, ce qui leur permettait de vivre de leur métier. Comme je ne savais pas quoi faire des futs de miel que j’achetais, je les déposais dans un endroit et je n’en faisais rien du tout. C’est au fil du temps que j’ai réalisé que je pouvais tirer quelque chose de ce miel. C’est donc à partir de là que j’ai commencé à faire l’apiculture. Avant 2008, Madame Kouadio que je suis, accompagnée de Monsieur Afeni Daniel, sillonnions des localités du Centre de la Côte d’Ivoire pour chercher à mettre ensemble les apiculteurs. Et c’est en 2008 que la coopérative Holly Honey voit le jour. Nous avions des difficultés pour écouler notre miel. Nous avions alors bénéficié de l’expertise de certaines personnes en France (Roger Bonnetaud) et à Abidjan (Afeni Daniel). C’est par le biais de ceux-là que nous avons appris l’existence du miel monofloral, ce que nous introduisons aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Holly Honey a servi de perche et de tremplin à certaines personnes en Côte d’Ivoire qui, aujourd’hui, sont devenues apiculteurs. Certains étudiants venaient sur notre plantation d’arbres fruitiers où nous avons nos ruches, pour faire leur mémoire.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la pratique de l’apiculture?

Mme K. A. : Les problèmes que nous avons dans l’exercice de cette activité sont nombreux et divers. Je vais vous faire cas de quelques-uns des problèmes que nous rencontrons sur le terrain. Par exemple, les apiculteurs qui sont avec moi n’ont pas de superficies exploitables, ils n’ont pas de champs dans lesquels ils peuvent placer leurs ruches. Quelquefois, ils négocient avec des propriétaires terriens pour placer leurs ruches. Il arrive que des gens brûlent ou pillent nos ruches. Nous avons connu tellement de problèmes qu’on a même porté certaines affaires devant les tribunaux. Au commencement, nous avions 2 400 ruches exploitables. Mais aujourd’hui, on ne peut même pas compter 100 ruches. Nous sommes obligés de fabriquer encore des ruches que nous plaçons sur des superficies aménagées à cet effet.

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Il nous est revenu que vous avez une variété de miel et plusieurs produits dérivés, quels sont-ils ?

Mme K. A. : Nous avons du miel monofloral et nous sommes les premiers à produire ce miel en Côte d’Ivoire. Il y a le miel monofloral d’anacardier, de caféier, d’oranger, d’acacia. Nous avons aussi le miel multifloral c’est-à dire du miel issu de plusieurs fleurs qu’on appelle miel nature. Avec la cire, qui est une dérivée du miel, on peut faire des bougies que nous avons commencé à produire. Il y a le baume anti migraine que nous avons également fait et que nous avons présenté, en février-mars 2024, au Salon International de l’Agriculture (SIA) de Paris Portes de Versailles, évènement auquel nous avons pris part. On a également la crème de miel et aussi le méliruche, c’est-à-dire un mélange de produits de la ruche, riche parce que c’est une association de la gelée royale, de la propolis et du pollen.

Apicculture
Marie Antoinette, épouse Kouadio, est la Présidente Holly Honey. Cette championne de l’apiculture explique sa passion dans une interview.

 

 Décrivez-nous le processus d’obtention du miel…

Mme K. A. : Avant toute chose, il faut trouver un endroit approprié destiné à ce miel. Nous plaçons des ruches dans des endroits appropriés. Par exemple, si nous voulons obtenir du miel d’anacardier, nous allons déposer nos ruches à l’orée d’une plantation où il y a des anacardiers et c’est à partir de là que nous avons du miel d’anacardier. Dès le départ, nous déposions nos ruches dans un endroit où il y avait une plantation d’anacardier d’une dizaine d’hectares, donc une grande superficie.

Combien de modèles de ruches avez-vous ?

Mme K. A. : Nous avons deux modèles de ruches: les langstroths et les Kenyanes. Les Kenyanes sont plus larges que les premières. Quand une pièce est remplie, on peut en ajouter une deuxième. Nous avons le couvain et au-dessus nous avons la hausse ; on peut faire plusieurs hausses. Quand l’abeille est en dessous dans le couvain, personne ne peut y toucher. Quand c’est plein, elle remonte pour aller mettre le miel en hauteur et c’est à cet endroit qu’on peut recueillir le miel.  Avec la kenyane, on est obligé de faire attention pour ne pas tuer la reine pendant l’extraction.

Quels sont les bienfaits du miel ? 

Mme K. A. : Le miel d’acacia par exemple est utilisé pour sucrer les boissons chaudes et elle régule la flore intestinale et stabilise les sécrétions intestinales. Le miel de caféier est utilisé pour soigner les irritations de la gorge, il est antiseptique, antitussif et expectorant ; c’est un stimulant qui a des propriétés antibactériennes et cicatrisant. Le miel d’oranger est à la fois un antiseptique, un antibiotique et un antianémique. Le miel multifloral englobe les propriétés de toutes les fleurs de la nature, les fleurs mellifères que les abeilles butinent. Ce miel a des propriétés antiseptique, antitussif, expectorante, nutritive et cicatrisant. Le miel d’anacardier, quant à lui, est digestif, laxatif et antibactérien ; c’est un vermifuge qui lutte contre les vers et les parasites. Le miel d’anacardier peut être l’utilisé contre les mycoses, le vieillissement. Il y en a qui préfèrent le miel d’anacardier, certains aiment l’oranger quand d’autres préfèrent le miel d’acacia ou de caféier.

Comment se fait la commercialisation de vos produits et quels sont les obstacles que vous rencontrez ?

Mme K. A. : Dès le départ, nous avons eu beaucoup de problèmes avec la commercialisation de nos produits. Nous sommes une société coopérative et nous avons voulu qu’on fasse un référencement de notre miel. Dans certains supermarchés, on nous demandait de créer une SARL (Société à Responsabilité Limitée). Nous étions obligés de le faire et nous l’avions fait. A ce jour, nos produits sont dans certains supermarchés et hôtels de la place. Le référencement a été difficile pour nous. Nous avons déposé nos produits dans certaines surfaces, mais nous n’avons pas eu de suite. Que devions-nous faire ? Nous avons pris sur nous-mêmes de commercialiser nos produits. Il faut des moyens parce que pour acquérir un magasin, il faut plusieurs millions de francs CFA. Nous sommes obligés de rester dans notre petit coin et de bouche à oreille écouler nos produits. Nous avons eu des cotations de 2012-2014 en France chez Leclerc et chez Carrefour, qui n’ont malheureusement pas pu être exécutées, faute d’indiscipline du technicien qui a déteint sur la quantité demandée. A ce jour, nous pouvons faire un bilan un peu mitigé de nos activités. Nous étions dans le désert, mais il y a quelque chose qui est en train de poindre à l’horizon. Je pense qu’avec cette envie que nous avons d’aller loin, on vaincra tous les obstacles que des personnes ont placés devant nous.

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Vous étiez au SIA 2024 à Paris ; quelles ont été, pour vous, les retombées de cet évènement ?

Mme K. A. : C’est un événement qui a été intéressant pour moi. Je veux profiter de l’occasion que vous m’offrez, avec votre journal BETAIL D’AFRIQUE, pour remercier, du fond de mon cœur, le Ministère des Ressources Animales Halieutiques, le MIRAH, avec à sa tête le Ministre Sidi Tiémoko Touré. C’est grâce au MIRAH que j’ai pu prétendre à un stand au SIA 2024. J’exprime donc toute ma gratitude au Ministre Sidi Touré et au MIRAH, qui continuent de nous porter pour que nous ayons une belle visibilité dans l’apiculture et la vente de miel en Côte d’Ivoire. A partir de 2022, quand j’ai été cooptée pour la Sélection de l’Agriculture du Monde à Paris, c’est en ce moment que j’ai tapé dans l’œil du Ministère des Ressources Animales et Halieutiques. Le MIRAH a donc pris à cœur cette activité en proposant à certaines personnes de chercher des endroits pour former des apiculteurs. Nous sommes sur cette lancée et nous pensons que si nous, apiculteurs de Côte d’Ivoire, nous nous mettons ensemble, cette activité d’élevage des abeilles se développera en Côte d’Ivoire. Par ailleurs, je veux souligner que mon époux a aussi apporté et continue d’apporter une aide inestimable à notre coopérative. Nous lui disons merci pour son implication dans les activités de la coopérative, et son soutien indéfectible. Merci aussi à ces grandes dames qui ont eu confiance en moi et m’ont portée jusqu’à ce que j’aie cette sélection au Salon International de l’Agriculture de Paris en 2022. Mmes Gnandji Danielle, Yéo Minata, Ouattara Nan et toutes les autres qui étaient avec moi sur le stand. Je fais un clin d’œil au Dr Chérif et son stagiaire JAD. Sincères remerciements aussi au Dr Allah du service de la production animale, qui était en charge du dispatching des pots de miel pour l’exposition à Paris. Enfin, reconnaissance à Daniel Afeni et Roger Bonnetaud, ceux qui ont été à l’origine de la coopérative Holly Honey.

Si vous avez un appel à lancer à l’endroit de l’Etat de Côte d’Ivoire, quel serait-il ?

Mme K. A. : L’Etat de Côte d’Ivoire a beaucoup à faire pour le secteur de l’apiculture. Tout le monde se concentre sur le café, le cacao, l’anacardier et autres produits agricoles, au détriment de l’apiculture. Sachez que c’est en partie grâce aux hyménoptères, dont font partie les abeilles, qu’il y a de belles productions de cacao, de café et autres. C’est grâce au processus de la pollinisation. Je vous raconte un fait : mon époux m’avait chassée de sa plantation avec mes ruches et mes abeilles. La mort dans l’âme, je suis allée les placer à quelques mètres de cette plantation. Mais qu’a-t-il remarqué à la fin ? Que la récolte des fruits a été importante et impressionnante grâce à la pollinisation des abeilles. C’est à partir de ce moment-là qu’il s’est intéressé à l’apiculture, jusqu’à aller en formation avec moi en Alsace en France. C’est pour vous dire combien il est important d’aider les apiculteurs. Des gens sont en train de détruire l’environnement en utilisant des pesticides. Les apiculteurs ont quand même un mot à dire pour la sauvegarde de l’environnement. Je pense que l’Etat a beaucoup à faire dans ce domaine-là. Nous plaidons pour que le gouvernement de Côte d’Ivoire ait un regard sur tout à la fois, que ce soit dans le domaine de l’agriculture que dans celui de l’apiculture. Les apiculteurs apportent quelque chose de positif à l’environnement parce que, de par leurs actions sur le terrain, ils sauvegardent l’environnement. Nous voulons que les abeilles vivent parce que ces insectes nous apportent beaucoup. En plus du miel et des produits dérivés, ces abeilles sont utiles pour une bonne production de cacao par exemple. Vivement que l’Etat de Côte d’Ivoire s’occupe aussi bien de l’apiculture que de l’agriculture, cela nous parait important et nécessaire pour le pays. L’autre réalité sur laquelle je veux attirer l’attention de nos gouvernants, c’est que, à ce jour, le miel de Côte d’Ivoire ne peut pas entrer, encore moins être vendu, dans l’Union Européenne. Cela s’explique par le fait qu’il n’y a aucun texte de loi émanant du gouvernement ivoirien pour rendre cela possible. Au Bénin par exemple, l’Etat a signé un accord avec l’Union Européenne qui permet aux apiculteurs de ce pays de promouvoir et vendre leur miel sur le territoire européen. Nous pensons que cela est possible en Côte d’Ivoire et il faut que l’Etat se penche sur cet état de fait. Ils sont nombreux celles et ceux qui produisent du miel en Côte d’Ivoire. Nous devons aussi nous organiser comme il se doit pour faire face à tous ces défis.

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Quels peuvent être vos besoins et projets aujourd’hui sur le terrain ?

Mme K. A. : Aujour’dhui, j’ai besoin d’appareils pour le remplissage, j’ai besoin d’un maturateur à miel. Cet important appareil enlève tous les débris du miel après extraction. J’aimerais bien avoir ce matériel qui va me permettre de produire du miel présentable. Par ailleurs, je nourris, depuis longtemps, l’intention d’avoir un rucher-école. Créer une école avec de petites maisons pour accueillir des gens qui vont venir visiter. Une sorte de Bungalow où les gens viendront passer le week-end, visiter nos ruchers et déguster le miel et les alvéoles. J’ai vu cela en France et j’en ai parlé au Ministère du Tourisme de Côte d’Ivoire qui a adhéré à cette idée. Je souhaite aussi former les jeunes à l’apiculture.

Que diriez-vous aux personnes qui veulent se lancer dans l’apiculture ?

Mme K.A: Si je suis dans l’apiculture, je ne peux pas empêcher quelqu’un de se lancer dans cette activité. Le miel donne beaucoup d’argent, mais le matériel est onéreux et les conditions de travail sont exigeantes. Rien n’est facile dans ce monde. J’encourage les uns et les autres à embrasser cette activité en ayant, à l’esprit, que les choses ne seront pas faciles, mais qu’avec la persévérance, on peut y arriver.

Interview réalisée

ELEVAGE D’AFRIQUE INFO