Côte d’Ivoire / Élevage de poisson :
Augustin Millan, lauréat du Prix d’Excellence 2022, dévoile ses secrets

Millan Assièhué Augustin, 32 ans (il est né le 04 décembre 1990) propriétaire de Poly-Élevages Ferme Millan SARL, est un jeune pisciculteur. Le 05 août 2022 au Palais présidentiel d’Abidjan-Plateau, il était au nombre des 84 lauréats du Prix national d’Excellence Edition 2022. Il a reçu le Prix d’Excellence du Meilleur Acteur des Ressources Animales et Halieutiques – Option « écloserie ou production d’alevins ». BETAIL D’AFRIQUE est allé à la découverte de la ferme Poly-Élevages SARL, sise dans la ville d’Aboisso, à 116 Km de la capitale économique ivoirienne. Augustin Millan s’est confié à nous dans cette interview exclusive

 

Le 05 août 2022, au Palais présidentiel d’Abidjan, vous étiez au nombre des 84 lauréats du Prix national d’Excellence Edition 2022. Vous aviez reçu le Prix d’Excellence du Meilleur Acteur des Ressources Animales et Halieutiques – Option « écloserie ou production d’alevins ». Que représente pour vous cette importante distinction nationale?

Millan Assièhué Augustin : Cette distinction vient me réconforter et en même temps me dire que je dois chercher à faire mieux. Si au niveau du Ministère des Ressources Animales et Halieutiques (MIRAH), j’ai été désigné comme lauréat du Prix national d’excellence dans la filière aquacole dans laquelle j’exerce, c’est que, quelque part, on retrouve en moi certaines valeurs. Et ces valeurs, je me dois de les partager avec mes camarades, mes jeunes frères et mes collègues du métier. Dans ce métier-là, je vous le dit, on y gagne son compte, on peut réussir là-dedans. C’est une activité, certes difficile comme toutes les autres, mais il faut être passionné et surtout patient pour la faire, parce qu’elle n’est pas très vulgarisée dans notre pays. Il n’y a que ces dernières années que le MIRAH, avec sa politique, est en train de mettre en lumière cette activité qui était cachée mais qui nourrit son homme. Donc ce prix vient me booster encore plus.

 C’est vrai qu’il y a eu des critères de sélection des lauréats, mais si l’on vous demandait de dire ce qui a milité en faveur de votre choix, que diriez-vous ?

  1. A. A. : Je pense que c’est l’acharnement au travail qui a fait la différence parce que j’essaie d’être le meilleur dans ce que je fais, j’essaie de maitriser ce que je fais. Ici, on n’évolue pas seul, c’est pourquoi je travaille en société coopérative. Nous nous mettons ensemble pour travailler, nous relevons ensemble des défis et nous partageons nos peines et nos difficultés pour essayer de braver le plus dur.
  2. Millan, parlons à présent de la ferme Poly-Élevages dont vous êtes le fondateur et qui est spécialisée dans la production d’alevins. D’où vous est venue l’idée de vous lancer dans une telle activité ?
  3. A. A. : Dans mes débuts, en tant que pisciculteur, les premières difficultés que j’ai eues c’était au niveau des alevins. Après, il s’est posé à moi le problème de l’aliment pour nourrir mes alevins. Au fait, si on n’a pas d’alevins, on ne peut pas commencer une pisciculture. Quand on n’a pas d’argent, on ne peut pas acheter l’aliment pour les alevins. Il faut aussi des alevins de qualité tout comme de l’aliment de qualité. Donc je me suis dit que si je fais de la pisciculture mon activité principale, je dois me pencher sur la production d’alevins pour pouvoir non seulement me satisfaire, mais aussi satisfaire celles et ceux qui font de la pisciculture dans ce pays. Voilà d’où m’est venue cette idée de faire l’élevage d’alevins et c’était une opportunité aussi. Je remercie Dieu de m’avoir orienté pour que je puisse percevoir que dans les années à venir le problème d’alevins serait crucial et qu’il faudrait quelqu’un qui serait le pionnier dans la production d’alevins. Voilà pourquoi je me suis lancé dans cette affaire.
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D’une simple ferme d’écloserie en 2014, elle est passée au statut d’entreprise individuelle en 2017, à celui de SARL en août 2021. Comment vous vous y êtes pris pour en arriver là ?

  1. A. A. : D’une simple ferme, et vous l’avez bien relevé, ma ferme est devenue aujourd’hui une entreprise individuelle. C’est pour dire que l’activité de production d’alevins est rentable si elle est prise au sérieux. Il faut être réellement un professionnel du secteur et se conformer aux lois du marché. C’est-à-dire que pour grandir, il faut qu’une ferme puisse être transformée en entreprise individuelle. Elle doit être représentative et capable d’embaucher des personnes parce que, seul, on ne peut pas évoluer dans cette activité. Il faut avoir des collaborateurs qui sont aussi spécialisés dans ce domaine. L’entreprise doit grandir au fur et à mesure et doit avoir un statut légal, le mettant au nombre des structures qualifiées pour l’activité en question. C’est cette progression qui a été la nôtre et qui a fait que Poly-Elevages Ferme Millan est, aujourd’hui, une SARL, désignée parmi les lauréats du Prix national d’Excellence 2022. Je dis merci à Dieu et aux plus hautes autorités ivoiriennes.

Votre ferme dispose, à ce jour, de diverses structures modernes d’élevage et de plusieurs équipements techniques. Comment expliquer cette performance?

  1. A. A. : Vous savez, on est dans un monde qui bouge, qui change et il faut être aussi au rendez-vous de la mutation et de l’évolution de ce monde. Les anciennes pratiques qu’on utilisait ne sont plus adaptées à la nouvelle donne au niveau de l’aquaculture. Cette activité est en train de se moderniser dans notre pays. Il faut avoir donc de bonnes pratiques adaptées à cette activité. Cela demande de pouvoir investir dans des infrastructures, de pouvoir être à la hauteur de ce qu’on demande. Le tout étant de pouvoir satisfaire les clients qui nous font confiance. Au niveau de la pisciculture qui est mon activité principale, il m’a fallu de la qualité dans les choix de mes alevins. Je devais me mettre à ce niveau et je crois que c’est ce qui, modestement, a pesé dans ma distinction au niveau du Prix national d’Excellence.

Si votre entreprise est aujourd’hui performante, c’est que vous avez des partenaires qui vous soutiennent. Quels sont ces partenaires ?

  1. A. A.: Il faut remercier le Ministère des Ressources Animales et Halieutiques, qui me soutient depuis mes débuts. J’ai participé à de nombreuses formations. J’ai été même en Egypte et au Bénin pour participer à des assises. Le lieu où j’ai beaucoup appris au niveau de l’écloserie, c’était en 2016, lors du Projet de Relance de l’Aquaculture Continentale en Côte d’Ivoire, PREPICO 1, avec le MIRAH et la JICA, l’Agence japonaise de coopération internationale. C’est au cours du PREPICO 1 que je me suis spécialisé et j’ai commencé à croire en cette production d’alevins. C’est là aussi que j’ai appris qu’il y a un manque d’alevins en Côte d’Ivoire. Après cette formation avec le PREPICO, j’étais vraiment prêt à me lancer dans la production d’alevins. Les premiers partenaires techniques qui m’ont apporté leur soutien, ce sont le Ministère des Ressources Animales et Halieutiques, la JICA, la FAO, l’APDRA et des sociétés coopératives. Je suis aussi président de la Société coopérative des aquaculteurs du Sud-Comoé (AQUABIA), et aussi président de l’Union des sociétés coopératives d’aquaculture de Côte d’Ivoire (USCACI).

Selon nos informations, votre production actuelle est d’environ 120.000 alevins de tilapia et 3.000 alevins de mâchoirons par cycle de 45 jours. Confirmez-vous ces informations et quelle projection pouvez-vous faire dans les années à venir ?

  1. A. A. : Je confirme vos informations. Mais d’ici au premier trimestre de 2023, ma ferme compte faire plus de 500 000 alevins par cycle de 45 jours. Ça c’est mon objectif. Déjà, ce que la ferme produit, je trouve que c’est insuffisant parce que je les écoule très rapidement. Il faut mettre à niveau mes infrastructures en vue de les rendre capables de pouvoir atteindre ces chiffres. Donc, actuellement, ma ferme est en travaux pour atteindre les objectifs que je me suis fixés. Je vais, peut-être, légèrement dépasser et être autour de 130 000 voire 150 000 alevins par cycle de 45 jours. Au premier trimestre 2023, on compte faire plus de 500 000 alevins par cycle.
  2. Millan, peut-on dire que la pisciculture nourrit son homme en Côte d’Ivoire ?
  3. A. A. : Je peux dire, avec certitude, que la pisciculture nourrit son homme. Voyez le cadre dans lequel vous êtes venus me trouver, voyez les investissements que j’ai faits. Et vous avez été bien inspirés en venant jusque dans notre ferme ici à Aboisso pour voir ce qu’est devenu Poly-Elevages Ferme Millan. Je tenais à vous dire que jusque-là, j’ai réalisé tout ceci sur fonds propres et aussi grâce à des aides au niveau de ma famille. Il n’y a pas eu de banque qui m’a accompagné. Le Prix d’excellence qui m’a été décerné vient d’ailleurs me conforter dans ma position qui est que je dois finir les investissements que j’ai prévu de faire. Je souhaite travailler avec des institutions financières qui pourront m’aider à atteindre mes objectifs. Je tenais à vous redire que cette activité nourrit son homme. En tout cas, je ne regrette pas du tout de m’être lancé dans cette affaire, vous voyez vous-mêmes ce que cela m’a rapporté aujourd’hui.
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Quelles sont les difficultés rencontrées par vous en particulier et par les acteurs du secteur piscicole, en général ?

  1. A. A. : Les difficultés que nous rencontrons dans ce secteur sont celles liées aux intrants. L’intrant au niveau de l’aliment est une difficulté à notre niveau. Pour pouvoir faire l’écloserie, il faut avoir l’aliment de qualité. Il y a certains matériels qui ne sont pas disponibles en Côte d’Ivoire, il faut forcément les importer depuis la Chine et d’autres pays de l’extérieur jusqu’en Côte d’Ivoire. L’autre difficulté, c’est au niveau du personnel. En effet, il n’y a pas de personnes ressources en qualité et en quantité pour que nous puissions les employer dans nos fermes. Ce sont des stagiaires que nous recrutons et que nous essayons de former pour faire le travail. On essaie de les garder pour pouvoir travailler avec eux. Donc je me suis entouré de personnes que j’ai formées. Au niveau général, la véritable difficulté des pisciculteurs, c’est de trouver les alevins et l’aliment de qualité parce que, malgré la production que nous visons, nous sommes encore en dessous de la demande dans notre pays. Les pisciculteurs ivoiriens n’arrivent pas encore à satisfaire la demande nationale vu que la quantité de poisson que le pays importe est plus importante que celle qu’il produit. Il y a aussi et surtout le problème de l’aliment de qualité pour nourrir les alevins. En Côte d’Ivoire, on ne produit pas encore l’aliment. Nous importons toujours l’aliment et ça coûte cher. Mais j’ai confiance en l’Etat et le MIRAH est en train de tout faire pour que nous ayons certaines facilités afin de nous aider à mieux travailler.

Qu’attendent les pisciculteurs de l’Etat ?

  1. A. A. : Nous voulons faire des séances de renforcement de capacités et bénéficier d’assistance. Aujourd’hui, nous avons besoin qu’on nous apprenne encore d’autres techniques parce que nous savons que des pays comme Israël, le Japon et biens d’autres, sont beaucoup avancés en matière d’aquaculture. Il faut qu’en Côte d’Ivoire, on puisse, par exemple, diversifier nos espèces de production pour ne pas faire seulement le tilapia et le silure. Il nous faut avoir d’autres espèces associées à l’activité d’aquaculture pour que, lorsque le pisciculteur a fini de vendre ses poissons, il puisse avoir d’autres espèces pour faire d’autres spéculations. Aussi, il faut dire que nous attendons beaucoup de l’Etat au niveau surtout de l’aliment qui constitue près de 60 à 70% de nos chiffres de production, notre chiffre d’affaires. Donc en ayant l’aliment de qualité à moindre coût sur le marché, ça nous permettra de pouvoir produire en quantité. Aussi, au niveau technique, il y a également un problème qui, de façon général, concerne tous les secteurs d’activité au niveau de l’élevage. C’est le changement climatique. Nous subissons beaucoup les effets néfastes du changement climatique. Donc, si les autorités peuvent mettre en place un Conseil pour pouvoir nous suivre en vue de mieux gérer cette difficulté, ce serait bon. Il s’agit de nous conseiller, de nous prévenir avant même qu’on ait le désastre dans nos fermes. Par exemple quand il y a abondance de pluie, à quoi s’en tenir? Quand il n’y a pas de pluie, que doit- on faire ? Nous souhaitons être formés sur toutes ces questions. Ce sera bien, surtout pour nous qui avons l’eau comme première ressource pour pouvoir travailler, car nous subissons gravement ces effets du changement climatique. Nous attendons aussi que l’Etat puisse favoriser, au niveau des banques, des prêts pour pouvoir booster nos activés parce que jusque-là, l’activité piscicole n’est pas financée par les banques en Côte d’Ivoire. Elle n’est pas connue des institutions financières, donc aucun pisciculteur ne peut se vanter de dire qu’il a bénéficié d’un prêt pour son activité. Cela fait qu’on ne fonctionne que sur fonds propres ou il faut avoir des biens qui n’ont rien à voir avec l’activité piscicole. Ce problème freine beaucoup d’acteurs dans ce domaine. L’aide de l’Etat serait donc le bienvenu pour booster la pisciculture en Côte d’Ivoire.
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Si vous aviez des conseils à donner à celles et ceux qui souhaiteraient se lancer dans la pisciculture, que leur diriez-vous?

  1. A. A. : Pour ceux qui souhaiteraient se lancer dans la pisciculture, je leur conseille de s’approcher des structures qualifiées pour cette activité, notamment le Ministère des Ressources Animales et Halieutiques, ou demander des conseils à des privés qui sont déjà dans ce domaine. Mais attention, il y a beaucoup de fausses personnes qui se font passer pour des experts dans le domaine, alors qu’elles n’en sont pas. Souvent, l’investissement de base est lourd et cela décourage certaines personnes qui voudraient se lancer dans l’affaire. Lorsque des personnes essaient de s’y mettre et sont confrontées à des difficultés, elles sont découragées et pensent que l’aquaculture n’est pas rentable. Celles et ceux qui souhaitent faire cette acticité devraient s’approcher de personnes de qualité qui y sont spécialisées et qui pourront les accompagner. Tout compte fait, il y a des problèmes dans toutes les activités qu’on entreprend, mais d’abord c’est le début qui est important. Lorsque vous ratez le début, tout ce qui vient après est difficile à gérer. Je voudrais encourager les uns et les autres à se lancer dans la pisciculture parce qu’elle est rentable. Il faut suivre les conseils utiles et savoir où prendre les alevins et l’aliment de qualité. L’aliment ne se donne pas comme ça, le poisson ne s’élève pas comme ça. Il y a l’itinéraire technique de l’aquaculture qu’il faut suivre. Mais avant de s’y lancer, il faut avoir des informations pour pouvoir prendre toutes les précautions utiles. Forcément, avec un peu de courage, on y arrive.

Interview réalisée à Aboisso par André SELFOUR et

Mireille YAPO Photos. Lucie NANDY