Côte d’ivoire / Filiere porcine :
Germain Nawoya, le No 1 ivoirien dans l’élevage de porcs, se dévoile…

Nawoya Germain est porciculteur, président de l’Union Nationale des Sociétés Coopératives de Porcs de Côte d’Ivoire (UNASCPORCI) et vice-président de l’interprofession de ladite filière. Propriétaire d’importantes fermes porcines sises à Bingerville, Grand-Bassam et Azaguié, le premier gros producteur de porcs en Côte d’Ivoire a bien voulu se confier à BETAIL D’AFRIQUE. Entretien

Monsieur Nawoya Germain, depuis quand êtes-vous propriétaire de fermes porcines et qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans cette activité ?

Nawoya Germain : C’est d’abord mon père qui exerçait dans l’élevage de porcs. Et moi j’ai vu, en cette activité, un tremplin pour gagner de l’argent et aller à l’extérieur de la Côte d’Ivoire. J’ai débuté avec 200 000 à 300 000 F CFa. Quand j’ai commencé à faire l’élevage de porcs, mon objectif était d’avoir de l’argent pour aller aux Etats-Unis. Mais lorsque j’ai fait mes premières ventes, j’ai vu que cette activité pouvait nourrir son homme et qu’il n’était pas forcément nécessaire pour moi d’aller sous d’autres cieux pour connaître le bonheur. Voilà la raison pour laquelle j’ai fini par m’installer définitivement dans cette affaire. En réalité, j’exerce l’activité depuis 1996. Après la peste porcine survenue en 1996, l’Etat a instauré de nouveaux critères d’installation. Donc il ne fallait pas être proche des habitations, et c’est ce qui a motivé ma venue sur le site de Bingerville où je suis depuis le 28 octobre 1998.

Nous avons appris que vous avez d’autres sites d’exploitation avec un cheptel de plus de 7000 têtes de porcs dont 600 truies. Quel est aujourd’hui l’état des lieux de vos sites d’exploitation ?

N.G : Oui effectivement, outre Bingerville, j’ai deux autres fermes à Grand-Bassam et à Azaguié. Actuellement nous sommes à 8000 têtes dont 700 truies. Nous avons du boulot et nous nous organisons en conséquence.

 Justement, comment arrivez-vous à gérer une telle surface d’activité ?

N.G. : Il y a une organisation qui a été mise en place avec des responsables de sites. Nous sommes une entreprise qui a des objectifs à atteindre. Nous avons instauré des primes parce que la gestion des fermes éclatées ce n’est pas toujours évident. Si vous n’avez pas des gens sérieux, c’est compliqué à gérer. Le nombre de personnes qui travaillent sur les sites tourne au tour de 70.

Vous avez également une ferme agricole et un centre de production de porcs charcutiers. En quoi consiste cet autre volet de vos activités?

N. G. La charcuterie, en réalité, je ne la mets pas trop en avant parce que je travaille avec des charcuteries où j’ai des contrats. La charcuterie absorbe juste 10% de notre production de porcs. On a eu des expériences amères avec les charcutiers. Moi j’étais dans la logique de produire le porc et mettre à leur disposition. Mais ces gens n’ont pas été gentils avec moi. En 2004 par exemple, le kilogramme du porc était à 1150F CFA. Les charcutiers se sont levés un matin et, sans raison valable, ils disent qu’ils vont prendre le porc à 800F Cfa le kilogramme. Une baisse de 1150 à 800 F Cfa, ça été un coup dur pour nous producteurs. On était dans la situation où les charcuteries avec qui je traitais avaient du mal à me payer. Quand je faisais la livraison de la viande de porc, elles me donnaient un engagement écrit sur du papier pour dire qu’elles me devaient de l’argent. Moi je donnais leur engagement écrit à la banque et celle-ci me donnait les fonds pour travailler. Dans ce cas d’espèce, il revenait à la charcuterie, qui fournissait un engagement écrit sur du papier, parce que n’étant pas en mesure de me payer sur place, de faire face aux frais de banque. Moi je ne le savais pas. Et donc c’est moi qui ai payé les frais sur 10 ans. J’y ai laissé plus de 100 millions de francs CFA. A un moment donné, tous les éleveurs de porcs avaient focalisé leurs productions sur les charcutiers et donc, par moments, on avait l’impression qu’il y avait une surproduction. Quand nous avons commencé à démocratiser et à créer nos propres points de vente, à commercialiser le porc partout en Côte d’Ivoire, chaque éleveur, dès son installation, savait déjà là où il allait vendre son porc. Et cela nous a permis d’être plus à l’aise. Aujourd’hui, on se dit qu’il faut que nous puissions absorber nos propres productions et que nous puissions avoir nos propres canaux de distribution. On ne veut plus attendre que quelqu’un vienne nous prendre nos porcs et qu’on dépende de ses humeurs. C’est pour cela que j’ai installé une petite unité de charcuterie. Nous faisons du jambon, des saucisses, des saucissons, du pâté de campagne que nous vendons dans les grandes surfaces. Il y a des situations où on vend mieux sur ferme que les grandes surfaces.

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Au mois d’octobre 2022, vous avez reçu, sur vos sites, la visite du ministre des Ressources Animales et Halieutiques, Sidi Touré, puis après, celle du Directeur de l’abattoir. De quoi at-il été question lors de ces visites?

N.G. : Le Ministre Sidi Touré voulait visiter une ferme d’élevage de porcs depuis qu’il a pris fonction. En fait, il n’était jamais allé sur une ferme de porcs, donc il a voulu voir à quoi cela ressemble et quels sont les problèmes qu’on y rencontre. On a dû faire part au ministre que les éleveurs de porcs ont une interprofession qui existe déjà et qu’ils ont déposé, auprès des autorités compétentes, tout ce qu’il fallait comme document pour officialiser leur interprofession. Mais, jusque-là, notre interprofession n’a pas la reconnaissance de l’Etat de Côte d’Ivoire. En tout cas moi, j’ai profité de la visite du ministre sur mon site pour plaider notre cause, et lui demander de faire diligence pour que le gouvernement accélère les choses. Notamment la question relative à l’instauration d’une taxe compensatoire sur les importations de porcs. J’ai dit au ministre Sidi Touré que nous, éleveurs, avons besoin d’un fonds de garantie qui va nous permettre de bénéficier de certains prêts au niveau des banques, car nous ne rentrons pas dans le moule des banques conventionnelles. Nous sommes livrés à nous-mêmes. Tout ce que moi je fais est sur fonds propres. Pour ce qui est de la visite du Directeur de la SIVAC (Société Ivoirienne d’Abattage et de Charcuterie), l’objet c’était surtout de s’imprégner de nos réalités. Parce que quand tu dis que tu défends les intérêts de quelqu’un et que tu viens pour faire changer les choses, il faut pouvoir prendre le pouls du terrain. Donc il voulait voir quels sont les problèmes que nous rencontrons sur le terrain pour pouvoir mieux nous défendre auprès de l’administration.

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Que peut être l’apport de la filière porcine dans la perspective de l’autosuffisance en protéines animales ?

N.G. : Nous, éleveurs de porcs, essayons de faire ce que nous pouvons à notre humble niveau. On n’a pas encore atteint le niveau de la filière avicole. Nous ne couvrons que 20% des besoins nationaux en protéines animales, mais on y contribue tout de même. Il y a beaucoup de personnes qui s’intéressent à l’élevage de porcs. On s’est dit qu’à la longue, il faut que l’Etat de Côte d’Ivoire pense à des espaces dédiés.

Il y a, à vous entendre, des difficultés rencontrées par les producteurs de porcs sur le terrain. Quelles sont-elles ?

N. G : Oui bien sûr que nous avons des difficultés liées à plusieurs éléments. Il y a le problème de la disponibilité des intrants. Cette année, on a le maïs à 130F Cfa le kilogramme. Parce que les gens sont contents, ils font de la spéculation et ont fait de la rétention de maïs dans le nord du pays pour attendre que le maïs atteigne 300F CFA le kilogramme. Nous utilisons 100 tonnes de maïs par mois ici. Avec 13 millions de Francs Cfa, j’avais mes 100 tonnes. Lorsque le kilogramme est passé de 130F à 300F, je suis passé de 13 millions à 30 millions de Francs Cfa. Donc j’ai eu un surcoût de 17 millions de francs Cfa sur un seul intrant, le maïs. Et ça, à l’avenir, il faut qu’on essaie de voir comment on peut mieux organiser les choses pour nous éviter de subir de telle situation. Vous savez, quand nous subissons, c’est le consommateur qui va en faire les frais parce qu’il faut que quelqu’un paye. Donc il y a le coût des intrants et des choses qui dépendent des importés comme les prémisses, les concentrés, le soja, sont des éléments qui viennent d’ailleurs. Les producteurs de porcs n’ont pas aussi de banque pour les accompagner. Il y a également les questions liées aux maladies et à l’urbanisation. Après tous les investissements liés à l’installation d’une ferme, il faut tout abandonner, aller ailleurs, reconstruire un autre site. Nous avons acheté nos parcelles pour en faire des fermes. Mais dans 20 ans, avec le peuplement, la ville nous trouvera là-bas et nous serons obligés de quitter les lieux pour aller encore ailleurs. Ce sont, entre autres, des problèmes que nous connaissons et qui compliquent le travail pour nous.

Vous êtes aussi vice-président au niveau de l’interprofession de la filière porcine. Comment se porte cette organisation ?

N.G : L’interprofession existe depuis 15 ans. J’en suis le vice-président depuis la création. Nous sommes dans l’attente de notre reconnaissance car si cela est fait, nous allons exiger des cotisations aux éleveurs de porcs. Et ce sont ces petites sources de revenus qui vont nous aider aussi à faire face à certains de nos charges. Cela fait 15 ans que je suis le plus gros payeur à l’interprofession et ce n’est pas normal. Certains éleveurs, qui font de la mauvaise foi, refusent de payer et ils disent : « Vous nous embêtez avec votre histoire, nous on gagne quoi là-dedans ? » En quinze ans, j’ai donné au moins 30 millions de francs CFA en termes de cotisation pour l’intersyndical. Je suis épuisé. Donc il faut qu’il y ait une reconnaissance de l’Etat et qu’à partir de l’abattoir on puisse instaurer un prélèvement qui va nous permettre au moins de tourner et d’envisager autre chose. Je vais revenir sur la taxe compensatoire qui est une taxe qu’on applique sur tout produit importé. Comme nous-mêmes, produisons du porc, celui qui va à l’extérieur se ravitailler se voit imposer une taxe sur sa marchandise. Ils ont instauré cela au niveau de la volaille. Parce qu’à un moment donné, le poulet importé coûtait moins cher que celui qui est produit localement. Pour encourager la consommation de la production locale, il a été instauré une taxe compensatoire pour ceux qui s’entêtent comme les grandes surfaces. Le collège des producteurs, celui des transformateurs et le collège des vendeuses, les femmes de Gabrielle Gare ont été sensibilisés sur la question. Nous faisons des formations. Nous étions à Yamoussoukro pour une formation sur la biosécurité dans nos élevages et puis une autre fois c’était sur la gestion des coopératives.

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Monsieur Nawoya, quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui aimeraient se lancer dans l’élevage de porcs ?

N.G. : L’élevage de porcs est une activité qui demande beaucoup d’argent mais en même temps, on peut commencer avec peu de moyens ; c’est-à-dire prendre deux ou trois porcelets avec un mâles, les nourrir et après c’est l’activité qui a débuté ainsi. Sauf que cela va prendre du temps deux ans et pendant cette période il faut débourser de l’argent. Alors que s’il y a les moyens, avec 10 femelles prêtes à monter avec le mâle, au bout de 4 mois les porcelets sont là. Et au bout de 12 mois d’activité la vente débute. Pour quelqu’un qui veut démarrer avec 10 femelles, un mâle, plus les bâtiments, il devra investir entre 15 et 20 millions de francs CFA. Une autre chose c’est la disponibilité. On dit que dans l’investissement, le premier capital c’est la disponibilité de celui qui met son argent. Il faut être présent sur les lieux tous les deux ou trois jours pour suivre les activités. C’est en étant sérieux dans ce qu’on fait, en s’y engageant pleinement qu’on finit par récolter de bons fruits. J’encourage les uns et les autres à faire l’élevage de porcs. En tout cas, je ne regrette pas du tout de m’être lancé dans cette activité.

Interview réalisée par Mireille YAPO