Dr Guy Patrick Kla est, depuis avril 2021, le président de l’ordre des vétérinaires de Côte d’Ivoire. Dans l’entretien qu’il nous a accordé dans ses bureaux d’Abidjan-Cocody, il fait un large tour d’horizon des activités et services vétérinaires. Il lève le voile sur les difficultés de sa corporation, expose ses priorités au cours de son mandat d’une durée de 3 ans et exprime ses espoirs dans l’arrivée du ministre Sidi Touré à la tête du département des ressources animales et halieutiques (MIRAH).
Docteur, à votre arrivée à la tête de l’ordre des vétérinaires de Côte d’Ivoire, vous avez sûrement fait un état des lieux. Que pouvons-nous en retenir ?
Dr Guy Patrick Kla: Relativement à l’ordre, nous avons relevé un point de faiblesse de notre structure. C’est qu’un ordre a toujours une dimension juridique. C’est d’abord une structure qui veille au bon exercice de la fonction vétérinaire. Par conséquent, l’ordre est doté de la capacité à ramener ses brebis galeuses dans le droit chemin, étant entendu que nous avons un métier qui est susceptible de causer des dommages aux populations. Donc c’était cette préoccupation qu’il fallait régler.
Et vous avez trouvé une solution à ce dysfonctionnement ?
Dr G.P.K : Vous savez, l’ordre est un outil disciplinaire et paradoxalement aucune session de la chambre discipline n’a jamais été tenue depuis la création de l’ordre ; ce qui montre un peu la fragilité de l’ordre des vétérinaires. Maintenant on est doté de tous les outils et toutes les personnes compétentes en la matière sont en place. Il s’agit de deux magistrats dont l’un est statutaire et l’autre est de la chambre de discipline. Maintenant que ces deux magistrats sont en place, on pense que toutes les procédures visant à faire tenir la session de la chambre de discipline sont en place et elle pourra fonctionner. Voilà l’une des principales préoccupations.
Y a-t-il d’autres préoccupations ?
Dr G.P.K : Evidemment ! Il y a, entre autres, notre capacité financière ; nous sommes un ordre avec peu de membres. Donc nous avons, à l’époque, sollicité l’Autorité pour qu’elle nous vienne en appui car elle nous a confié une mission qui est de surveiller les pratiques des professionnels vétérinaires et en retour on lui demandait de nous appuyer financièrement pour que nous puissions aisément remplir cette mission.
Parlant d’autorité, votre département ministériel a changé de patron. Qu’attendez-vous concrètement du ministre Sidi Touré ?
Dr G.P.K : Nous avons eu des rencontres avec lui, et ce ministre est particulièrement attentif à nos préoccupations. Nous avons déjà décliné nos doléances dans un mémorandum et nous attendons le retour. Mais en la matière, nous sommes très confiants.
Lors de la visite du ministre à la direction des services vétérinaires, vous avez demandé que l’Etat vous subventionne. Où en êtes-vous avec le dossier de cette subvention ?
Dr G.P.K : La subvention est en traitement et en interne, il est question d’améliorer le niveau des cotisations de sorte à avoir une liberté financière pour poser les actions qui sont de notre responsabilité. Donc nous avons deux axes pour renforcer notre capacité financière : la subvention et l’amélioration du niveau des cotisations.
Certains de vos confrères, et même des populations, ont relevé une anarchie dans la pratique vétérinaire en Côte d’Ivoire. Dites-nous votre stratégie pour la juguler ?
Dr G.P.K : Cette anarchie a une double forme. Il y a une anarchie en interne qui est propre aux vétérinaires ; c’était d’ailleurs pour cela l’intérêt de mettre en place toute la discipline nécessaire pour combattre cette anarchie et rappeler aux uns et aux autres qu’ils sont soumis à des devoirs. Bien sûr qu’ils ont aussi des droits, mais surtout des devoirs vis-à-vis de leurs pairs et des populations. Et cet ordre est en charge de faire fonctionner la chambre de discipline. Donc à ce niveau, nous nous donnons les moyens pour que chacun d’entre nous se mette dans le droit chemin.
Qu’en est-il de la seconde forme d’anarchie à laquelle vous faites face ?
Dr G.P.K : Maintenant, il y a une anarchie en externe ; il s’agit de ceux qui ne sont pas autorisés à exercer le métier et qui le font de la mauvaise des manières. Mais à ce niveau il faut préciser que la tutelle, à travers la direction des services vétérinaires, est en train de prendre des mesures. L’ordre n’intervient qu’en tant qu’observateur. Eventuellement, il peut se constituer partie au cours d’un procès devant les tribunaux mais pour le moment l’ordre accompagne l’administration en révélant les acteurs qui font un exercice illégal de la profession et puis en observant les actions de la direction à l’encontre de ces personnes.
Nous avons plusieurs corps de métiers qui disposent d’un ordre. Mais au sein de la population, on se rend compte que l’ordre des vétérinaires est peu connu. Avez-vous un programme pour remédier à cela ?
Dr G.P.K : On est peut-être peu connu mais on parle beaucoup des vétérinaires. Au niveau international, de nombreuses chaînes de télévision consacrent des émissions au métier de vétérinaire. Je pense même que c’est l’une des professions les plus présentes sur le petit écran et sur les Smartphones. Le fait qu’on estime qu’on est peu connu est aussi dû à notre nombre. Il faut le reconnaître, les vétérinaires sont peu nombreux. Nous avons un effectif qui tourne à moins de quatre cents individus pour toute la Côte d’Ivoire, avec une présence dans le secteur privé qu’on estime à moins de cent praticiens. Donc sur le terrain, la population n’a pas de contact aussi fréquent avec nous comparativement au corps médical humain. Ce qui fait que nous sommes un peu mal connus. Mais les différents conseils qui se sont succédé ont veillé à corriger le tir et celui que je préside est dans la même dynamique.
Aujourd’hui, la santé animale et la santé humaine sont étroitement liées. Quelles campagnes menez-vous pour que les populations soient conscientes de cette réalité ?
Dr G.P.K : Il y a des campagnes qui sont déjà menées et nous allons continuer ces programmes. C’est juste de dire que santé animale et santé humaine ne font qu’un. Mieux, il y a aujourd’hui ce qu’on appelle le trio sanitaire : santé animale, santé humaine et santé environnementale, qui font aujourd’hui une seule santé. Force est de constater actuellement que l’homme est malade avec les animaux et l’environnement ; et lorsque l’environnement est malade, il y a impact sur la santé animale et la santé humaine. Donc les professionnels de ces trois secteurs s’organisent pour établir une parfaite collaboration.
On sait que l’alimentation est importante dans l’activité de l’élevage. Est-ce que le vétérinaire intervient aussi à ce niveau ?
Dr G.P.K : Le vétérinaire intervient à trois niveaux. L’alimentation relève de la compétence du vétérinaire, il faut que cela se sache définitivement. L’alimentation, plus particulièrement la santé alimentaire. S’assurer que la population consomme en toute sécurité les aliments mis à sa disposition – viande, conserves et même l’alimentation d’origine végétale – relève du vétérinaire. C’est ce qu’on appelle la sécurité alimentaire.
Quels sont les autres domaines d’intervention du vétérinaire ?
Dr G.P.K : Il y a le domaine de la santé pure c’est-à-dire la santé animale. Cela veut dire qu’en termes de biomasse, c’est le vétérinaire qui a la plus grande part de responsabilité de la gestion du nombre d’animaux vivant sur terre. Et puis le vétérinaire qui intervient dans le domaine de la santé homme-animale au niveau de tout ce qui concerne les zoonoses comme la rage, la tuberculose, Ebola et même COVID-19. Aujourd’hui, 65 à 70% des maladies qui affectent les populations humaines sont partagées avec les populations animales. Donc les hommes meurent avec les animaux qui eux aussi meurent avec les hommes. Les trois secteurs sont l’alimentation, la santé animale et la santé homme-animal. Donc chaque fois qu’on parle de ces trois domaines-là, on parle de la fonction vétérinaire en général.
Docteur, que répondez-vous aux critiques de ces éleveurs qui estiment que vos prestations sont chères ?
Dr G.P.K : La cherté de la prestation est en rapport avec le gain que génèrent leurs activités. C’est-à-dire que votre enfant vous tient à cœur, le médecin vous demande 25 mille FCFA pour faire un traitement qui va le maintenir en vie, si vous estimez que c’est cher, c’est au risque de la vie de votre enfant. Vous savez, en médecine vétérinaire, les prestations se discutent selon la taille de l’élevage, selon l’importance du patrimoine que vous avez à disposition. La tarification est adaptée à la valeur économique de l’élevage que l’éleveur gère. Donc dire qu’une prestation dans le domaine médicale est chère, ce n’est pas très juste. Les prestations se négocient donc on ne peut pas dire de facto qu’un vétérinaire est cher. Il peut vous facturer aujourd’hui à 5 mille FCFA et demain à 250 mille selon les négociations et selon l’importance de la population animale à traiter…
Les éleveurs disent par que pour certaines prestations, ils ont recours à des vétérinaires dans la sous-région à cause de la cherté de ces mêmes prestations en Côte d’Ivoire. Qu’en dites-vous ?
Dr G.P.K : C’est possible et cela est une question générale liée au niveau de vie de la Côte d’Ivoire que l’on juge plus élevé que dans la plupart des pays de la sous-région. Mais c’est aussi une question de mauvaise appréciation du niveau de rentabilité de l’élevage, qui peut faire qu’ils vont ailleurs. Mais il faut souligner que nos dispositions nous interdisent de brader la profession vétérinaire. Si vous voulez payer deux vétérinaires à 10 FCFA la journée, il faut arrêter de former des vétérinaires parce que cela voudra dire que ce n’est pas nécessaire. Donc les prestations sont aussi encadrées. Mais je répète que les prestations peuvent se discuter, se négocier. On ne va pas balayer du revers de la main ce problème soulevé, mais il faut que les éleveurs sachent le niveau de rentabilité de l’élevage à partir duquel les négociations peuvent se faire.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Dr G.P.K : Si vous avez, par exemple, un patrimoine animalier qui génère jusqu’à 100 millions de FCFA de revenus par an, et que vous estimez qu’un vétérinaire qui vous coûte 1 million par an c’est de trop, c’est que vous ne savez pas ce sur quoi vous êtes assis et vous ignorez l’importance du vétérinaire. Le vétérinaire ne vient pas juste faire des injections et partir. Si vous le concevez ainsi, alors vous trouverez qu’il est coûteux. Le vétérinaire s’occupe de la santé des bêtes mais il accompagne l’éleveur dans la gestion technico-économique de son élevage. C’est comme vous disposez d’un médecin qui a de grandes capacités et vous l’utilisez comme un garçon de salle. Si vous agissez ainsi et que vous devez payer le vétérinaire à 200 mille FCFA, à la fin du mois vous lui verser cette somme. Mais si vous l’utilisez comme un véritable vétérinaire et que vous le payez 200 mille FCFA alors qu’il vaut plus que ça, alors vous exploitez son potentiel. Dans ce domaine, la règle d’or c’est la négociation. C’est une fonction qui est en train de se libéraliser, et il faut négocier. Mais en tout état de cause, un docteur-vétérinaire, c’est quand même un BAC +7. Si vous l’utilisez comme un tâcheron, vous allez payer quand même BAC+7 (rires).
A côté de la cherté, il y a des critiques qui portent sur la qualification et la compétence des vétérinaires. Des vétérinaires ne seraient pas compétents dans certains domaines. Cela est-il vérifié ?
Dr G.P.K : La problématique c’est de savoir si les personnes qu’ils emploient sont des vétérinaires. Sinon tout vétérinaire dûment formé est compétent. C’est cela le problème ! Si on appelle n’importe quoi vétérinaire, si vous tombez sur une personne qu’on appelle abusivement vétérinaire et qui n’a pas les qualifications du métier, évidemment il vous restera dans la tête qu’elle est vétérinaire. Mais en réalité, cette personne n’est pas connue dans nos effectifs comme docteur-vétérinaire. Donc le vétérinaire, quelles que soient les écoles, quand il finit sa formation, il est pleinement opérationnel pour répondre aux sollicitations toutes espèces confondues. Maintenant on a des spécialisations comme en médecine humaine: il y a des vétérinaires qui sont plus sensibles dans la pratique de l’art avec les bovins, la volaille, les chiens mais avec les collaborations avec les confrères, on a la possibilité de se bonifier grâce à la pratique. Avant de dire qu’un vétérinaire est incompétent, ils doivent s’assurer que la personne à qui ils ont affaire est véritablement un vétérinaire. On ne peut pas tomber sur une personne qu’on appelle abusivement vétérinaire et déduire que les vétérinaires sont incompétents.
Le ministre Sidi Touré a dit qu’il souhaite mettre la pratique vétérinaire au cœur de l’activité ministérielle. Êtes-vous prêts à relever le défi ?
Dr G.P.K : Le ministre Sidi Touré a donné une vision, nous allons la matérialiser ; ça fait partie de nos missions ! La loi nous impose de faire notre travail avec qualité. C’est là l’intérêt de la profession vétérinaire. Notre mission c’est justement de nettoyer le milieu de telle sorte que seuls les bons vétérinaires exercent. Par ailleurs, nous disons à l’administration de financer la formation de plus de vétérinaires car c’est aussi une solution pour mettre fin aux dérives.
Où sont formés les vétérinaires ?
Dr G.P.K : Les vétérinaires sont formés à l’extérieur. Le plus grand nombre des vétérinaires ivoiriens vient de Dakar, au Sénégal. Il y a aussi le Maroc, l’Algérie, la France et la Russie où sont formés les vétérinaires ivoiriens.
Quelles actions menez-vous pour qu’on puisse former le vétérinaire en Côte d’Ivoire ?
Dr G.P.K : Une école de vétérinaire c’est extrêmement coûteux. Cela requiert un corps professoral de qualité. Il faut penser le projet, se donner les moyens et visualiser les objectifs qu’on veut atteindre sur dix, vingt ans. Parce que la formation prend sept ans, il faut mettre l’école en place avec tous les niveaux. Donc c’est assez délicat…
La fraude gangrène aussi la commercialisation des médicaments pour les soins vétérinaires. Quelle stratégie pour s’attaquer à ce phénomène ?
Dr G.P.K : C’est exclusivement par la discipline que nous parviendrons à assainir le milieu. En interne, nous avons des confrères qui exercent mal. L’ordre est en place, nos magistrats ont été désignés. Maintenant, nous allons lire la loi et chacun va se contrôler. En externe, c’est l’administration qui est en premier plan. Il y a des médicaments autorisés et d’autres qui ne le sont pas. Aujourd’hui, les deux types de médicaments circulent ; ce qui est contreproductif parce que s’il y a des médicaments non autorisés, cela signifie qu’on ne pourra pas guérir certaines pathologies en les utilisant. Et comme les médicaments non autorisés sont relativement moins chers, les utilisateurs vont vers ceux-là or en termes de médicaments, c’est la qualité qui prime. Ils vont vers le moins cher donc vers des médicaments qui ne sont plus opérationnels. La pratique est ainsi biaisée. Donc en externe, c’est l’administration qui agit. L’ordre veille, attire l’attention des autorités mais n’a pas la capacité de répression. Cela revient à l’administration et à ses services régaliens.
Réalisée par Serge YAVO